La situation alimentaire au Sénégal connaît actuellement une période critique. En cause principalement : la pandémie de Covid-19, largement responsable d’importantes difficultés d’approvisionnement, avec des conséquences sur les prix. Pourtant, selon certains observateurs comme l’ancien diplomate Pierre Jacquemot, le continent dispose plus que jamais des moyens et des ressources pour reconquérir son autonomie alimentaire. Faut-il réellement parier sur une telle issue positive pour le continent africain, et faire confiance aux pouvoirs publics ?

La souveraineté alimentaire en question

A l’heure actuelle, les données concernant l’accès des populations africaines à l’alimentation font état de situations parfois dramatiques. Rappelons qu’en 2015, un rapport rendu public par l’Organisation des Nations unies révélait que près de 200 millions d’Africains étaient en situation de sous-alimentation, soit environ 20% de la population. Un chiffre qui grimpera jusqu’à 224 millions l’année suivante.

Malgré cela, l’ancien diplomate et analyste Pierre Jacquemot estime que le continent africain dispose des ressources suffisantes pour entrevoir un avenir positif. Selon le rapport publié le 13 septembre 2021 par la Fondation Jean-Jaurès, l’homme de conviction établit la liste des défis à relever pour rendre le secteur de l’agriculture plus dynamique, dans le but d’en faire « un moteur de croissance et de développement ». Au programme notamment : un accès plus important au crédit, l’autonomisation des femmes (notamment via la constitution de coopératives) et le rôle des Etats dans le déclenchement des cercles vertueux sur le plan local et régional. On le comprend aisément ici, le plus dur reste à faire.

L’agriculture, grande sacrifiée des politiques nationales

Depuis des années, le discours politique annonce les contours d’une authentique « révolution agricole africaine ». Pourtant, année après année et malgré les engagements pris lors des différents sommets par les chefs d’Etat, il semble que l’agriculture demeure le parent pauvre des investissements et la grande sacrifiée des politiques nationales comme des programmes d’aide multilatérale et bilatérale.

Pour Pierre Jacquemot, le constat est clair : « Nous sommes en face d’un décalage entre le discours et la pratique. Tous les dix ans environ, les chefs d’Etat se réunissent et affirment vouloir faire de la politique agricole une priorité, promettant de consacrer au moins 10% de leur budget à l’agriculture ». L’explication à ce phénomène paraît simple, et repose essentiellement pour l’analyste sur des questions liées au retour sur investissement : « une action dans le domaine agricole ne produit de résultats, au mieux, qu’à moyen terme quand le retour sur investissement dans d’autres secteurs se fait beaucoup plus rapidement ».

Le financement des entreprises au Sénégal : La grande problématique

Une combinaison de facteurs positifs pour accompagner le changement

Il existe pourtant une combinaison de facteurs positifs qui permettent pour l’agriculture africaine d’entrevoir un changement rapide de modèle. Dans un premier temps, on évoquera le développement de l’accès à l’énergie et de l’électrification notamment dans les zones rurales (on se souvient effectivement des initiatives récentes pour l’installation de la première sous-station 100% numérique dans la région de Thiès). Il faudrait également évoquer certaines innovations technologiques en lien avec l’essor du microcrédit.

D’autres phénomènes récents pourraient aussi participer activement à ce changement de paradigme : on pense notamment à l’autonomisation des femmes via la constitution de coopératives, le retour de jeunes urbains en milieu rural désireux de lancer de nouveaux projets, ou encore l’émergence d’agri-entrepreneurs, dont l’activité serait dédiée à l’investissement et la production pour les marchés urbains dans une logique de chaîne de valeur.

Le Sénégal, acteur exemplaire de la reconquête agricole

Depuis plusieurs années, le Sénégal fait la démonstration d’une excellente dynamique en matière d’agriculture et d’entrepreneuriat, réussissant ainsi à associer ces deux problématiques pour développer le maraîchage et la transformation en périphérie de Dakar. Cette dynamique est plus particulièrement portée par des groupements de femmes, « révolution silencieuse » opérée dans la plus stricte tradition d’association et de création de réseaux divers d’entraide et de solidarité. Notons par ailleurs que cette dynamique féminine exemplaire se retrouve également depuis plus de vingt ans dans des pays voisins comme le Ghana et le Kenya.

C’est la multiplication de ces initiatives locales, soutenues d’un côté par les Etats et de l’autre par les consommateurs qui est susceptible de créer une véritable révolution dans les domaines agricoles et alimentaire. Ce changement est bien évidemment attendu et encouragé au Sénégal, mais aussi au Ghana et au Kenya. Pour l’accélérer, les pouvoirs publics s’activent et tentent de mettre en place des mesures d’urgence pour maîtriser la hausse des prix alimentaires – on pense notamment à cette initiative visant à suspendre les taxes douanières ou de TVA.